Comment expliquer ce résultat paradoxal ?
La première explication concerne la fixation d’un montant de l’amende sans doute trop faible. 60 dollars par mois pour un retard quotidien de 10 mn coûte moins cher que le recrutement d’une baby sitter !
La deuxième explication est plus comportementale et mérite que l’on s’y attarde.
Lorsqu’aucune amende n’existe, la seule pénalité subie par le parent retardataire est « morale ». La honte, le sentiment de ne pas respecter une norme sociale que les autres respectent, le regard des autres et la dégradation de l’image de moi que je reflète, mon anticonformisme sont d’autant plus coûteux « moralement » à supporter que la pression sociale de mes pairs (les autres parents) sur moi est forte.
On comprend bien que cette pression « morale » sera d’autant plus coûteuse que les déviants sont peu nombreux parmi les parents. Or en mettant en place une pénalité, on vient de transformer une relation « non-marchande », un devoir moral basé sur un conformisme social, un respect des surveillants, à un contexte purement « marchand » !
“En payant l’amende j’ai acheté le retard”
La pénalité est interprétée comme le prix d’un nouveau service, une sorte de droit de tirage au retard qui vient d’être proposé comme service par la commune !
“Je paie, donc j’ai droit !”
Pire encore, lorsque l’expérience a été stoppée après 20 semaines, un effet d’irréversibilité a été observé. La fréquence des retards n’a pas diminué dans les 6 garderies qui avaient expérimenté ce principe et le taux de retard n’est jamais revenu à son niveau initial !
La troisième explication tient tout simplement au fait que dans certaines communautés, le sens du devoir, le respect des considérations morales ou le simple plaisir ressenti à œuvrer pour le bien commun de la collectivité peuvent suffire à réduire les comportements déviants.
Introduire une sanction financière peut détruire la motivation intrinsèque qui présidait jusqu’ici au respect des règles.
Dans un ouvrage publié en 1970 Titmus montre à partir d’une expérience naturelle que rémunérer les donneurs de sang conduit au résultat inverse à celui attendu. Des donneurs qui étaient jusqu’ici motivés par leur seule bienveillance à l’égard d’autrui, ne sont plus incités à poursuivre leur action dès lors que la rémunération de leur geste pourrait altérer l’image qu’ils pourraient désormais donner aux autres d’un comportement monétairement intéressé,…donc égoïste !
L’expérience de la commune d’Asnières-sur-Seine : des résultats plus efficaces
En 2016, Marc Deschamps et Julien Pénin publient un article dans la Revue Française d'Économie dans laquelle ils comparent l’étude de Gneezy et Rustichini que nous venons de présenter avec l’expérience menée par la commune d’Asnières-sur-Seine. Cette commune a décidé de mettre en vigueur à partir du premier janvier 2013 une sanction financière aux parents qui viennent chercher leurs enfants avec retard dans un des centres de loisir qu'elle gère.
Or à l’inverse des résultats de Gneezy et Rustichini, comme en atteste le graphique ci-dessous, cette commune a vu le nombre de retard diminuer de plus de 40% après la mise en place de cette mesure.
Les auteurs de cet article montrent que ce qui différencie fondamentalement les deux expériences et de fait leurs résultats, c’est d’une part la justification donnée par la Mairie à la mise en place de la sanction, et d’autre part le processus par lequel la sanction a été mise en place.
Dans la justification de la mise en place de la pénalité pour retard, la municipalité a surtout insisté sur les coûts « cachés » générés par les retards plus que sur les coûts liés aux heures supplémentaires engagés pour le maintien d’au moins un agent municipal au-delà de 18h30.
En effet le surcoût lié aux retards des parents a été évalué par la commune à 9000 euros pour l’année 2012. Rapporté au budget de la commune (127 millions d’euros), voire aux dépenses liées à l’emploi des personnels (55 millions d’euros) ce surcoût est négligeable.
En revanche, le maire d’Asnières-sur-Seine a insisté sur les coûts cachés du retard.
Les retards peuvent fragiliser le respect d’une norme sociale dans la commune. Si un trop grand nombre de parents transgresse cette norme et qu’il n’y a aucune sanction, alors une plus grande majorité de parents va à son tour transgresser la norme, au risque de la faire entrer par invasion dans un cercle vicieux où une nouvelle norme sociale s’installe dans laquelle le retard….devient la règle !
Une deuxième forme de coûts cachés tient au fait que si le retard des parents devient systématique, ces derniers considèrent que leur temps à plus de valeur que celui du personnel municipal chargé de garder les enfants. Les retards peuvent donc avoir un impact sur la motivation d’un personnel qui par l’attitude de certains parents observe que son statut social est peu respecté et se dégrade.
Ce sont précisément ces coûts cachés qui ont été mis en avant par le Maire d’Asnières-sur-Seine lors de son conseil municipal du 22 novembre 2012 pour faire adopter son dispositif de sanction.
Mais une des clefs de la réussite de la sanction pécuniaire mise en place dans cette commune tient à la procédure retenue pour appliquer le dispositif.
Plutôt que de décider de manière centralisée, le Maire a préféré procéder par concertation en confiant à un groupe de travail le soin d’élaborer les modalités de mise en œuvre de la mesure. Le groupe de travail constitué d’élus et de non élus s’est réuni pendant une année. Au terme de cette année, le collectif a proposé d’appliquer une sanction pécuniaire proportionnelle à la fois à la durée du retard et au revenu des parents en tenant compte du quotient familial.
Comme le montre le tableau ci-dessous extrait de l’affiche diffusée par la Mairie, le montant de la pénalité par quart d’heure de retard variait ainsi de 1 euro pour la tranche de revenu 1 la plus basse (moins de 7000 euros de revenu annuel pour un couple avec un enfant) jusqu’à 10 euros par quart d’heure de retard pour les tranches de revenus 11 et plus au-dessus de 47000 euros pour un couple avec un enfant. La menace d’une exclusion temporaire ou pour l’année du centre de loisir a également été rajoutée pour renforcer la sanction et éviter la récidive.
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